Gilles Deleuze pensa la schizophrénie dans le cadre que Bergson donnait à la mystique dans les Deux sources de la morale et de la religion. Ce bergsonisme a conduit Deleuze à une véritable mystique de la maladie mentale : les grands psychotiques auraient remplacé les saints...
L'intention de cet ouvrage est d'abord de produire une critique bergsonienne de cette «schizo-mystique», en montrant que la nuit obscure, où le mystique côtoie la folie, n'est pour Bergson que l'antichambre du mysticisme complet, qui, lui, est mysticisme de l'action. De sorte que l'inhabituel, l'exceptionnel et le surhumain ne sauraient être, selon lui, une création schizophrénique détournée du quotidien mais bien la gestion simple et confiante du présent.
On a tort de penser que la maladie mentale permet à la vérité d'accomplir une percée qui lui est refusée dans la santé. La psychose n'est que secondairement la folie qui sauve les croyants ; elle est d'abord, comme l'enseigne l'attention à la parole psychotique (celle d'Hölderlin, ou du danseur Nijinski), une expérience insupportable. Muette, la psychose ne transmet aux hommes aucun message de l'au-delà ; elle est un sentiment extrême, mais sans objet et sans but.
La philosophie de Bergson est ensuite critiquée pour ce qu'elle a rendu possible chez Deleuze. A une conception «océanique» de la liberté, où le sujet d'exception coïncide avec lui-même et s'insère dans l'absolu, l'auteur oppose les philosophies de Fichte et de Lavelle, soucieuses de penser un absolu exigeant une pluralité infinie de sujets particuliers. Loin d'attendre une régénération qui leur viendrait d'être surhumains, ces sujets devront donc se constituer par une démarche originale de leur liberté.