Du statut de «fondateur» de la sociologie française attribué à
Émile Durkheim à la façon dont on s'empare régulièrement
du personnage de Gabriel Tarde à des fins moins historiques
que polémiques, l'histoire des sciences sociales en France est traversée
par un certain nombre de mythes fondateurs qui ne résistent pas à
l'analyse historique rigoureuse, et que l'on enseigne pourtant aux générations
d'étudiants depuis parfois plusieurs décennies. Ce sont ces
mythes que Laurent Mucchielli entreprend de déconstruire dans cet
ouvrage ambitieux.
La première partie interroge la façon d'écrire l'histoire et met en
question des idées pourtant classiques en sociologie : ainsi de l'opposition
entre sociologie allemande et sociologie française, entre tradition
durkheimienne et tradition wébérienne, de la coupure radicale qu'aurait
introduite l'École des Annales en 1929 dans l'histoire de l'historiographie
graphie française, ou encore du mythe selon lequel la psychologie
sociale n'existerait que depuis les années 1960 en France parce que la
sociologie durkheimienne l'aurait «tuée dans l'oeuf» à la fin du
XIXe siècle. À chaque fois, Laurent Mucchielli montre comment ces
versions du passé procèdent de jugements anachroniques et intéressés
qui ne sont pas fondées historiquement.
Dans une seconde partie, à travers l'étude du conflit entre la sociologie
durkheimienne et la raciologie des anthropologues au moment de
l'affaire Dreyfus, du conflit entre Halbwachs et Blondel sur la psychologie
collective, de la naissance de la psychologie universitaire autour de
Ribot, ou encore de la stratégie d'écriture des Règles de la méthode
sociologique par Durkheim, l'auteur illustre la nécessité d'analyser les
contextes, les réseaux, les conflits, tels qu'ils se déroulèrent réellement
à l'époque.