Les Portugais sont tellement habités par le sentiment de la saudade qu'ils ont renoncé à la définir. Au contraire, c'est sur elle qu'ils font reposer leur secret, ou l'essence de leur sentiment de l'existence, au point d'en avoir fait un « mythe ». Au fond, c'est cette mythification d'un sentiment universel qui donne à cette étrange mélancolie sans tragédie son vrai contenu culturel, et fait de la saudade le blason de la sensibilité portugaise.
Il reste à savoir pourquoi tout un peuple se reconnaît avec une délectation qui frise la complaisance, dans le miroir de cette mélancolie à la fois triste et heureuse qu'il nomme saudade. Peut-être que seule une considération du « temps portugais » - celui de l'Histoire et celui de l'âme - nous donne la clef de ce petit mystère. La saudade elle-même nous y invite. Qu'est-elle d'autre qu'une descente, comme celle d'Orphée, dans le labyrinthe du temps enseveli, pour y saisir le visage, à la fois vivant et mort, du bonheur passé ?