Dans le prolongement des réflexions sur le mal ou sur la question des valeurs de l’art aujourd’hui, c’est un pan capital de la littérature moderne européenne que ce livre collectif explore autour de la notion plurielle de nihilismes. Ceux que Nancy Huston appelle « professeurs de désespoir » ou « néantistes » (Bloy, Beckett, Cioran, Bernhard, Blanchot, Jelinek, etc.) manifestent sans doute un refus des valeurs communes, une attirance pour la table rase. Mais faut-il réduire à cette pure négativité le programme esthétique de ces « entrepreneurs de démolition » ? Ne doit-on pas aussi entendre la force de cette énergie du désespoir, la puissance d’un soupçon fructueux ? Il faut donc faire l’histoire (philosophique, culturelle et littéraire) de cet attrait vers le Rien, des figures de la destruction qui y sont mobilisées, des incarnations du « dernier homme » qui y sont proposées, afin de différencier des moments, des courants selon les pays. Mouvement européen, sous l’égide de Schopenhauer, le nihilisme littéraire stricto sensu n’existe pas, mais il permet de désigner une fascination (dans les avant-gardes notamment) pour la violence politique, qui croise pourtant un regard désabusé sur un siècle de guerre et d’exterminations. Un premier volet étudie les crises idéologiques et le vide existentiel qui se manifeste avec intensité au xixe siècle. Face aux déchaînements de l’Histoire, la question qui se pose aux artistes et aux intellectuels est bien de savoir comment continuer d’écrire en des temps d’anéantissement. Car c’est le langage même qui apparaît, dans le courant du xxe siècle, comme le lieu d’une négativité à la fois féconde et destructrice. Et notre époque, hantée par une apocalypse qui semble déjà advenue, cherche à conjurer une attirance pour le néant qui est aussi bien le signe de notre modernité toujours en devenir.