Christiane est née en 1945, Huguette en 1941. Toutes deux étaient institutrices. De Christiane, on ne savait rien : après sa disparition dans un accident de voiture, à l'âge de vingt-six ans, elle avait été effacée de l'histoire familiale et des albums photos. D'Huguette, au contraire, on détenait beaucoup : un livre publié, des manuscrits, des lettres, des articles de journaux, une correspondance avec Simone de Beauvoir... Tout cela enfermé dans des malles bien verrouillées.
Christiane et Huguette sont les mères des deux autrices. Au fil d'une enquête qui les a menées aux quatre coins de la France, mais aussi en Tunisie, celles-ci ont récolté des témoignages et des photos, retrouvé des archives, fait parler des courriers. Elles retracent la vie de ces deux femmes « ordinaires », dans ce moment charnière des années 1960, où les femmes se battent pour leur indépendance. Car, à raconter les parcours de Christiane et Huguette - de milieux sociaux très différents -, c'est toute une génération qui affleure : celle des Écoles normales d'institutrices, des « écoles-taudis », de la coopération, du féminisme, des aspirations à une vie meilleure, du rejet des carcans traditionnels.
S'il permet de comprendre les voies de l'émancipation et comment celles-ci varient selon le milieu d'origine et les capitaux culturels et économiques, ce livre est aussi une expérience : peut-on enquêter sur des sujets si proches, et lever, en sociologue, en historienne, des secrets de famille ? Que peuvent faire les sciences sociales de l'émotion, de l'intimité ? Enfin, cet ouvrage est une revanche contre l'effacement des femmes de l'Histoire, et des histoires.