«Quelques mots singuliers entendus enfant dans la conversation des
grands, quelques cartes figurant les monuments d'une cité mythique, un livre
qui tombe d'un rebord de table et s'ouvre à la page du 2 mai 1950, une villa
blanche qui vous rappelle l'Afrique, et un vieux poste de radio, et revoilà la
légende du Rosebud, le souvenir qui imprègne le présent et dont le parfum
ne se dissipe jamais, et qui aide, transforme l'avenir en un jardin vivable, comme
Bogart trouve la force de quitter Ingrid Bergman en lui disant, pendant que
l'avion mouline du brouillard sur la piste, We'll always have Paris.»
Et c'est ainsi, dans Casablanca, que les deux amants réussissent à
continuer à vivre, à se séparer s'il le faut et à suivre chacun son propre chemin,
en se souvenant de leur idylle dans le Paris d'avant l'occupation allemande.
En puisant dans cette réserve de lumière.
Avec ce livre entièrement dédié à un sentiment, celui du «merveilleux»,
à sa naissance et son cours à travers la vie d'un homme - la sienne - l'auteur
nous invite à le suivre dans son propre puits de lumière.
Nous aurons toujours Paris est conçu sous forme de boucle, et c'est
dans le perpétuel aller-retour entre les rêveries de l'enfant, ses projections et
leur prolongement à l'âge adulte, dans leur décalage, souvent, que se glisse
le merveilleux, que se construisent la vie et l'oeuvre, avec leurs impasses,
fausses pistes, déceptions et surprises.
Il n'est donc pas, ou très peu, question de Paris dans ces pages.
Mais plutôt de pérégrinations et de rencontres : du Japon à l'Afrique,
et de Julien Gracq à Ismail Kadaré ou Albert Cossery, quand ce n'est pas
l'ombre du toujours énigmatique B. Traven.