Plus de soixante-dix ans après sa fondation, l'Europe n'échappe pas au diagnostic d'une crise profonde, dont la montée des nationalismes est aujourd'hui le symptôme le plus criant. Depuis les années 1990, cette crise n'a cessé de s'accentuer. Pourtant l'Europe n'arrête pas de se faire sous nos yeux, et nous tirons d'elle bien plus de vitalité et d'appuis que l'opinion n'est portée à le reconnaître.
Mais de quelle Europe parle-t-on ? Nous autres Européens, qui sommes-nous en vérité ? À ces questions, on ne peut répondre que par un « retour à soi » qui tire enfin toutes les conséquences du décentrement de perspective qui caractérise depuis toujours les sciences sociales en Europe. Un retour au bout duquel on n'est plus le centre d'autre chose que de soi, mais de soi vraiment. C'est à ce geste que nous obligent plus que jamais les épreuves actuelles : le désastre climatique qui affecte la planète entière, les conflits théologico-politiques qui remettent en jeu le sens de la justice, et la tension entre les pôles Ouest et Est de cet espace dans lequel notre unité est supposée se tisser.
Bruno Karsenti, aiguillé par les questions de Bruno Latour, élabore dans cet ouvrage la nouvelle grammaire apte à nous faire saisir les ressorts de ces perturbations et les moyens de les surmonter. Il le fait en philosophe politique, inspiré par les sciences sociales, attentif aux différences et aux connexions sociales réelles que les modernes réduisent ou ignorent dans l'usage courant qu'ils font de leurs catégories politiques.