Nous citoyens, laïques et fraternels ?
L'actualité donne toute son urgence à la question de la laïcité. L'explosion d'une violence inédite caractérise notre monde, et ce sous deux aspects complémentaires. D'une part, les pronostics hasardeux d'une guerre des civilisations semblent se confirmer avec les réactions identitaires qui déchaînent une fureur théologico-politique dans certains pays d'islam. La religion se présente alors comme politique de la religion et s'affirme dogmatiquement comme La Vérité Unique en cachant des enjeux bien profanes. D'autre part, inversement, dans les pays qui se posent comme détenteurs du monopole de la civilisation (démocratie représentative, droits de l'homme, économie du libre marché capitaliste dérégulé), les politiques d'austérité, d'endettement et la destruction des acquis sociaux considérés comme des biens communs condamnent des parties importantes des populations hétérogènes - la fonction travail - à l'écrasement et à l'absurdité. La religion politico-économique du capital impose sa dictature irrationnelle comme seul destin.
C'est dans une double critique de la politique des religions (que celles-ci dénient souvent comme telle) et des religions politiques (qui souvent se disent à tort laïques) que la laïcité peut se refoncier et trouver une forme adéquate par temps de mondialisation et éviter de se réduire au statut d'une politique d'ordre public et de sécurité nationale. Une conception nouvelle fondée sur une laïcisation de la laïcité peut aider à cette réforme.
Une enquête historique et conceptuelle sur les rapports complexes entre sécularisation et dé-sécularisation et sur les avatars contemporains de la laïcité, soutenue par une méditation renouvelée du Traité théologico-politique de Spinoza, remet en cause le système classique des oppositions entre sphère publique et sphère privée. Pratiquement la laïcité n'existe que par et dans un espace social et public de confrontation interculturelle. Elle a pour fonction d'ouvrir les totalités closes (ethnies, nations, civilisations), de dessiner une existence délivrée des principes d'appartenance, de déranger les identités. À ne pas se faire « impolitique » au sens de puissance populaire, non étatique, de solidarité et de fraternité, la laïcité se réduit malgré ses dénégations à une rhétorique identitaire sans avenir émancipateur.