L’objet de ce livre est de montrer les conditions nécessaires pour qu’un Être intelligent soit parfaitement heureux ; et d’exposer la possibilité pour que ces conditions se trouvent réalisées.
La plus célèbre et la plus importante de toutes les recherches philosophiques, est celle consacrée aux moyens de parvenir au bonheur. Tout le monde convient que le bonheur, autant que l’homme peut y parvenir, est un état dans lequel la somme des plaisirs dont on jouit, surpasse celle des peines auxquelles on est exposé. Or une longue suite d’expériences multipliées et répétées, a procuré aux hommes la connaissance d’une infinité de choses dont la jouissance donne du plaisir ; et par le même moyen on est parvenu à connaître presque toutes les circonstances des actions humaines, dont la peine et le chagrin sont des suites naturelles.
On est généralement d’accord que le bonheur résulte du plaisir, et que la peine lui est contraire. Une vie entièrement exempte de peines, et remplie de sentiments agréables, serait le bonheur parfait. Le désir d’un tel bonheur nous séduit facilement, et nous voudrions qu’il fût possible. On n’envisage ordinairement que les causes externes du plaisir et de la peine, et en s’imaginant mille moyens arbitraires, souvent absurdes, de donner un autre cours aux événements du monde, on bannit toutes les peines de la vie, et on n’y fait régner que l’agrément et le plaisir. Mais ce n’est pas à l’esprit déréglé, ou enthousiaste, de juger de la possibilité d’un bonheur parfait. Outre les causes externes du bonheur, il y a dans nous-mêmes un concours de causes qui produisent ou qui empêchent les plaisirs et les peines. Les événements du monde, qui sont contingents, pourraient sans doute être très différents de ce qu’ils sont actuellement. Mais l’intrinsèque des choses, leur essence, ne peut pas être altérée. Si l’essence d’un Etre fini est telle, que la peine devienne une condition nécessaire, pour le faire parvenir au plus grand bonheur dont il est capable, le bonheur parfait, sans mélange de maux, n’est plus possible. C’est donc principalement dans la nature de l’être fini, qu’il faut chercher de quoi décider la question ; c’est là qu’il faut voir de quelle manière naissent tant les plaisirs que les peines, et la possibilité d’augmenter le nombre des uns, et de bannir les autres...