Oria, la très vieille arrière-grand-mère, est dans son lit, étendue sous des draps lourds, le nez au plafond, elle ferme les yeux durant de longs moments. [...]
Le gamin est sur le pas de la porte, il se couvre un oeil d'une main et cligne de l'autre, jusqu'à ce que sa vision soit floue, pour qu'il puisse mieux rêver. Il imagine qu'il n'y a que la tête, là, dans le lit. Lorsqu'il a assez rêvassé, il voit Oria entière sous les draps, mais avec la tête d'une louve sous la coiffe. Puis Oria devient verte, le nez s'allonge et s'aplatit, prend l'allure d'une énorme musique à bouche, et de petites dents dépassent sur les côtés, comme si elle riait.
Oria est un crocodile à la coiffe de mère-grand.
La vieille ouvre les yeux et demande : « Gamin, tu fais quoi ? » Alors il raconte, et elle est impressionnée par son descendant.
Lorsque son père se suicide et que sa mère meurt peu après, « le gamin » de neuf ans est accueilli par ses grands-parents, le grand-père manchot, et l'arrière-grand-mère, Onna Maria. Les ancêtres sont à la croisée des chemins entre le monde moderne et l'univers clos du catholicisme. Tout comme les villageois, ils répondent à cette mutation en mobilisant des ressources culturelles acquises et nouvelles, en usant des langues traditionnelles et modernes avec une inventivité magnifique ou une candeur malicieuse.
Dysfonctionnel mais sachant évoluer, le clan va de l'avant. Le monde animal est plus qu'omniprésent : les félins ont leur importance ; lorsque le grand-père perd la tête, il rejoint le chien berger et le chat sous la table ; les loups des montagnes rôdent et le personnage central, Onna Maria, leur emprunte quelques traits. C'est elle qui va encourager le petit à s'émanciper et à aller au-delà de son héritage : « Soit tu fais le saut, soit tu ne le fais pas. »