Sophie Heine décide de revisiter les définitions de trois mots
qui ont joué un rôle majeur dans l'entreprise de dépolitisation
et de disparition de la conscience des conflits de classe.
Dévoyés et mis au service de fins particulières, leur signification
radicalement émancipatrice a été occultée. Le libéralisme
s'est mué en une pensée indifférenciée, créant l'illusion
d'une résolution des contradictions sociales par une théorie
économique unique et n'appréhendant le conflit que sous sa
forme culturelle ou identitaire. Le cosmopolitisme a permis
de justifier le dépassement non seulement des identités
nationales étroites mais aussi des souverainetés politiques
et économiques.
Le langage des «réformes» est quant à lui devenu le chapeau
du lent délitement de la plupart des institutions sociales
mises en place dans le cadre des États sociaux après 1945.
Face à ces interprétations hégémoniques, deux options se
présentent aux courants de gauche.
La réaction la plus simple et au premier abord la plus évidente
consiste à rejeter ces trois termes en bloc et à se réclamer
de leur contraire en se définissant comme «anti-libéraux»,
«patriotes» et «révolutionnaires». À l'opposé d'une telle
stratégie, cet essai juge au contraire plus prometteur de
réouvrir le débat là où il a été clôturé par la doxa et de
ré-explorer et refonder ces trois traditions de pensée.