D'ordinaire, le roman historique prére à des personnages «réels» - ayant vécu - des paroles, pensées et sentiments fictifs. Ici, c'est de textes «réels», poétiques ou en prose, que l'invention du romancier a fait surgir les personnages et leur histoire.
C'est tout l'ailleurs du «Grand Siècle», son envers méconnu, ses profondeurs imaginaires, ses utopies et ses délires, qui se découvre aux yeux du lecteur, au fil du destin aventureux de toute une galerie de personnages inspirés de l'œuvre et de la vie des grands poètes baroques allemands : Andréas, l'humaniste, douteur et passionné, reflet tendu de toutes les contradictions de son temps ; Quirinus, le fils de sorcière, excentrique et révolté, humoriste mystique hanté par le feu des bûchers ; Corona la justicière, solitaire Antigone vouée à finir ses jours dans le tombeau de l'écrit. Mais aussi le père Strozzi, dernier géant de la Renaissance, fabuleux inventeur de machines impossibles ; Molinero, l'inquisiteur subtil ; le juif Esope, marchand de peaux de lapin et cabaliste, qui tire peut-être les fils de cette histoire, sans l'infléchir, comme une figure mythique du narrateur...
Chacun des personnages, une fois au moins, à son heure, aura la vision d'Ouroboros, le serpent qui se dévore lui-même, emblème de l'éternel retour selon la tradition ésotérique, dont aucune interprétation en perspective n'épuise la richesse de sens ou bien, peut-être, l'inanité profonde.
Picaresque, comique, érudite, poétique, cette épopée de la connaissance à l'âge baroque éclaire aussi, par un effet de miroir, le destin de l'esprit moderne : avide de savoir, sans cesse détrompé, mais indomptable, «cousin de l'Amphisbène et de l'absurde Catoblépas, mordant sa queue dans l'inutile poursuite de son ombre».