Ouvrez la tête
(Ma thèse sur Satie)
Pendant mes années de travail de thèse, quand quelqu'un avait la politesse de me demander sur quoi portait ma thèse, je me vengeais de sa curiosité trop superficielle, en répliquant par son intitulé complet : « Les mentions verbales sur les partitions pour piano seul d'Érik Satie. » Mais quand mon interlocuteur avait le bon ton de ne pas chercher à me mentir sur l'ampleur de sa curiosité et partageait d'office le fait évident que nous n'avions ni l'un ni l'autre l'élan d'un débat sur Satie ou l'avenir de l'Université française, à ce moment-là, j'avais le bon ton d'incliner une synthèse : « je fais une thèse sur Satie », pour le dire humblement au lieu de se résigner à la platitude du fait. C'est là que, malgré les efforts de retenue, de contrition ou de savant mélange entre les deux, je m'attirais souvent des réactions passionnées dans un panel assez restreint qui allait de « Quelle musique formidable » à « Un homme très intelligent, mais pas vraiment un compositeur ». [...] Comme je soupçonnais qu'ils devaient avoir un goût décidément démesuré pour l'injustice, je décidais la plupart du temps de les combler en soulignant le fait que, m'intéressant à Satie, je m'intéresse aux mentions verbales qui se trouvent sur ses partitions de musique qui, dès lors, sont aussi des espaces poétiques. Dit comme ça, les penseurs justes étaient d'accord avec moi, mais pour prolonger leur mépris pour Satie, ils admettaient que l'importance de Satie dans l'avant-garde était sans doute compatible avec l'idée que sa musique est sans valeur. Arrivé à ce point de la discussion, il était donc évident que leur définition de la valeur musicale avait dû être conçue exprès pour en exclure Satie. [...] Et c'est à peu près dans ces moments-là que j'ai décidé, au lieu de devenir un musicologue justicier, de tenter diverses métamorphoses...