Si l’histoire des décades de Pontigny nous restitue le rassemblement annuel, dans une abbaye bourguignonne redevenue laïque, des plus grands esprits européens, de Paul Valéry à Heinrich Mann, de Max Scheler à Paul Langevin, d’Alberto Moravia à André Malraux, elle révèle surtout les multiples facettes de ce lieu singulier, à mi-chemin d’un salon héritier des Lumières et d’un congrès scientifique tributaire des réseaux de l’Internationale Scientifique propre au xxe siècle. À la fois subtile université auprès de la jeunesse normalienne, refuge aristocratique réservé longtemps aux proches d’André Gide et de la NRF, cellule collective de réflexions consacrées à l’avenir de la SDN ou de l’école par des publicistes et des hommes politiques, les Décades, loin de tourner le dos au monde, tentèrent de le déchiffrer, guidées le plus souvent par la boussole du riche passé humaniste européen et de ses vertus de tolérance et d’esprit critique. Au carrefour de quelques-uns des dialogues essentiels où se nouait la question des relations catholiques et non-catholiques, entre Allemands et Français, entre Occident et Orient, Pontigny fut une des rares institutions intellectuelles médiatrices dans une époque traversée de conflits. Peut-être parce qu’en France, depuis Montaigne, le culte de la littérature, si bien organisé par les Décades, eut pour fonction non négligeable d’apaiser les esprits et d’exprimer le meilleur de la civilisation.