Cette étude porte sur la Platos Ideenlehre, la grande monographie que Natorp – l’un des principaux représentants avec H. Cohen et E. Cassirer de l’École de Marbourg – consacra en 1903 à Platon. Toute la difficulté (et tout l’intérêt) de cette monographie tient à l’ambiguïté de la stratégie interprétative adoptée par son auteur : la théorie des Idées est certes conçue comme l’origine historique de la méthode transcendantale établie par Kant dans la première Critique, mais la lecture que Natorp propose du texte platonicien est surtout pour lui l’occasion d’élaborer une conception originale de l’idéalisme critique qui se démarque sur certains points fondamentaux de la lettre kantienne. En ce sens, la lecture des Dialogues consiste moins à repérer les prémisses d’une doctrine constituée en dehors d’eux qu’à résoudre les deux problèmes majeurs de tout idéalisme véritable. Premièrement, comment concevoir l’articulation entre la discursivité logique et la réceptivité sensible sans mettre cette dernière au compte d’une faculté radicalement étrangère à la pensée ? Platon est précisément aux yeux de Natorp celui qui s’efforce de comprendre « la nature étrangère à la forme » non comme une altérité absolue, un datum extra-logique, mais comme l’autre qui est propre à la pensée. Deuxièmement, que signifie « être » pour l’Idée ? Platon a clairement reconnu selon Natorp l’impossibilité de concevoir cet être comme une existence donnée : la pensée comme procès dialectique est au contraire originaire et l’Idée comme hypothèse ou position discrète ne reçoit de consistance qu’au sein de la continuité pure du dialegesthai.