Pays indépendant depuis 1960, Madagascar connaît en 1971-1972 sa première
grande crise. Le régime, réputé stable grâce à l'image débonnaire de son
président, Philibert Tsiranana, s'effondre sous un double impact. D'abord en
1971, la révolte des paysans du Sud déshérité, sans armes, menés par Monja
Jaona, ancien des luttes anticoloniales. Le brutal «rétablissement de l'ordre»
révèle un rapport d'oppression et d'exploitation sous couvert d'un discours
développementiste.
Puis c'est le Mai malgache, manifestations de collégiens et étudiants font
chuter le régime. Une génération de jeunes diplômés réclame des emplois et
s'insurge contre le lien néocolonial. Formée sur place, est-elle pour autant
enracinée identitairement et consciente des difficultés des ruraux qui constituent
plus des trois quarts de la population ? Dans l'encadrement entièrement
français de coopérants et chercheurs, certains sont des alliés dans la critique du
régime et aident à la montée d'intellectuels militants malgaches. Ensemble, ils
opèrent des transferts de concepts et outils pour l'analyse des sociétés locales
en termes de classes.
Mai 1972 amène aussi la prise en charge du paysannat par le ministre et
colonel de gendarmerie Ratsimandrava qui opte pour la voie du fokonolona,
unité de base en partie autogérée. Populiste, il ne croit ni à la démocratie à
l'occidentale ni aux partis. Son assassinat, éclairé ici avec précision, entraîne
le gauchissement de son plan, repris par Ratsiraka dans un projet de révolution
par le haut.
Ces épisodes majeurs sont éclairés par la parole d'acteurs locaux : paysans
en réunion ou à la radio, histoire de vie de Monja Jaona, tournées de Ratsimandrava,
courriers d'époque et entretiens actuels avec d'anciens coopérants. La
reconstitution du champ intellectuel citadin est confrontée à la méfiance des
«sans diplôme» qui ont la mémoire de 1947 et une riche imagination politique.
Le tout se veut une contribution à la fabrique de l'histoire malgache par
le bas.