Ce livre, elle pensait l'appeler La Colline. Dominique Sigaud avait tout noté dans un carnet lorsqu'elle était à Bisesero, en 1994. Journaliste indépendante sans autre nom que le sien sous lequel se ranger, elle fut l'une des rares femmes à couvrir le génocide des Tutsis au Rwanda. Vingt-cinq ans plus tard, les mots, elle les a retrouvés, intacts, comme elle les avait agencés sur les pages pour organiser le chaos du monde, pour raconter les massacres et les assassins ivres d'alcool et de sang. Mais le récit ne s'écrivait toujours pas. La colline où toute l'horreur du génocide s'était écrite n'était pas le lieu central comme elle le pensait. Le lieu central, il lui a fallu encore du temps pour comprendre que c'était le corps de cette jeune femme, croisée dans une boîte de nuit à Kigali.
Réflexion sur la mémoire, le traumatisme et l'écriture, Perdre la main interroge la posture singulière du témoin, lorsque, sans être une victime directe, il est pris dans l'étau des événements. Tout en racontant ses doutes et ses blocages, Dominique Sigaud explore les possibilités de la langue et du corps confrontés à la catastrophe.
« Je suis journaliste. Cela fait de moi un témoin. Les témoins ne sont pas broyés comme les victimes du génocide, mais pris dans l'étau, d'une autre manière. Sinon comment seraient- ils témoins de l'étau? Témoin ne veut pas dire étranger mais simplement tiers, le mot vient de tristis, «trois ». C'est celui, à l'origine, qui devait, par sa présence, attester d'une signature entre deux parties, d'un acte. Ce que sans le vouloir nous fûmes, attestant des actes commis. Et ces actes devinrent partie intégrante de nos existences. »