Par le choix de ses sujets, la fiction d'Ian McEwan a fait sensation en raison du caractère pervers des situations mises en scène. Le piège serait de prétendre en circonscrire le scandale en le réduisant à une thématique de la perversion, voire une thématique perverse, ce qui signifierait en manquer la force, qui provient d'une tension entre maîtrise textuelle et immoralité ou désordre du contenu. Le malaise de la lecture (ce que l'on pourrait appeler la perversion textuelle) provient de l'articulation inquiétante, unheimlich, de la perversion et de la fiction, de la manière dont elles se conjuguent et s'excluent tout à la fois, chacune éclairant l'autre. Toutes deux déconstruisent la réalité entendue comme système codé de reconnaissance et ressortissent à un savoir sans savoir qui pointe vers le réel (l'irreprésentable par excellence) dans les fissures et ratés de la représentation. Ainsi est suspendu tout jugement catégorique, toute application méthodique des règles établies. Le privilège de l'œuvre cependant, son humour noir, tient dans le pouvoir qu'a l'imagination de renouer avec les questions urgentes que la perversion pose à nos modes de rapport au monde, de les remettre en jeu en évitant qu'elles ne retombent dans le délire clinique. Et de mettre le lecteur au défi de juger.