Ne dites pas «précarité», dites «flexibilité». Ne dites pas «anti-technicien»,
dites «obscurantiste». Ne dites pas «réforme», dites
«modernisation». Ne dites pas «empoisonner» ni «polluer», dites
«fertiliser».
Nier l'évidence, rassurer à tout prix, même et surtout quand
l'incendie fait rage, tel semble être l'objectif du pouvoir et des
«communicants» face aux questions soulevées par des situations ou
des risques de plus en plus inquiétants. En particulier dans le
domaine sensible de l'«environnement», la réponse est toujours la
même : tout va bien, les mauvais signes apparents sont trompeurs,
anodins, inexistants.
Dans un monde où les paysans sont devenus «exploitants agricoles»
et les patrons «entrepreneurs», où la charité se déguise en «action
humanitaire», où derrière un «plan social» se cache un licenciement
massif, ce Petit lexique nous aide à saisir comment la sémantique officielle
s'applique à ne pas voir la réalité, à minimiser les périls, à
désigner en termes positifs les phénomènes qui le sont le moins. Il
relève à la fois les «faux amis» et les paradoxes qui signifient autre
chose que ce qu'ils désignent, voire le contraire (abondance, liberté,
croissance, bonne nouvelle...), les conduites aberrantes constituées en
véritables syndromes (de l'autruche, du Père Noël...) ou en directives
(s'obstiner dans l'erreur, jouer avec le feu...) et la contamination du
langage par l'économisme (gérer ses relations, optimiser...).
L'«élimination des mots indésirables» (et donc des concepts interdits)
que craignait Orwell est-elle en train de triompher ?