Le Philoctète de Heiner Müller n'est pas une
adaptation de la pièce grecque mais un palimpseste
qui efface et recouvre l'oeuvre première, et
la laisse transparaître par instants sur le mode de
la radiographie.
Dans ce Philoctète il n'y a pas de choeur, pas de
deus ex machina, pas d'apparition d'Héraclès
pour rendre possible le happy end final. C'est un
Philoctète sans Dieu(x). Heiner Müller ne rivalise
pas avec Sophocle, il détruit, démolit, déconstruit
le modèle tragique des philosophes allemands
qui, à l'aube du 19e siècle, ont inventé la Grèce
des Allemands qui devait faire pièce à la Grèce de
Racine et des Français. Le Philoctète de Heiner
Müller brise et fait saigner la statuaire grecque
implicite dans l'interprétation de Hegel (dans
l'Esthétique). De son Philoctète beckettien Heiner
Müller a dit un jour qu'il était «le négatif
d'une pièce communiste». Le vers müllérien,
habité par des tensions contraires, entre tragique
et brutalité, semble avoir subi le maximum de
violence qu'un vers puisse endurer sans cesser
d'être de la poésie.