Chasser à l'arc, c'est apprendre à disparaître. La portée courte des
flèches obligeant à s'approcher au plus près des bêtes, il faut impérativement
connaître d'elles tout ce qui peut s'en apprendre et en tirer
toutes les conclusions pour se rendre pratiquement inexistant à leurs
yeux. Mais à cela il y a une conséquence : à force de se rendre insignifiant,
de quitter toute apparence humaine, on cesse aussi d'être
soi. On devient, pour partie au moins, ce que l'on traque. Se tenir au
plus près des bêtes c'est aussi fréquenter au plus près l'animalité,
sa propre animalité originelle ; enfouie et pourtant toujours si proche.
Confondu avec l'arc, avec la cible et avec tout ce qui l'entoure,
livré à la seule vision et à la seule sensation pour toute prise avec
le monde, l'archer n'est plus seulement un individu qui pense, qui
raisonne et tente de maîtriser ce qui advient, il devient le théâtre
de combinaisons de sens et de significations jusqu'alors tenues
pour étrangères les unes aux autres. Il se fait lui-même scène d'un
collage, d'un rendez-vous imprévu de significations et de décisions
qui semblent se prendre hors de lui et de sa volonté.
«Philosopher à l'arc» c'est, en somme, laisser se développer les
pensées qu'appelle et mobilise cette expérience à la fois physique et
mentale, archaïque et actuelle, de la présence au monde. Expérience
où défilent et se côtoient une succession de visions, de présences
et de réminiscences, où rôde la sensation d'une origine retrouvée.