On connaît bien le Maupassant pour collégien. Celui du Horla et des nouvelles fantastiques. Le Maupassant amusant et délassant. Qu’on lit pour fuir l’ennui. Mais, on ignore tout de l’autre Maupassant. Le schopenhauerien. Pessimiste. Sombre et mélancolique. Solitaire et flaubertien. Réaliste et perspectiviste. Qui pense que le vie ne vaut la peine d’être vécue et qui écrira dans La Solitude : « Notre grand tourment dans l'existence vient de ce que nous sommes éternellement seuls, et tous nos efforts, tous nos actes ne tendent qu'à fuir cette solitude ». Ce Maupassant là, c’est celui de Pierre et Jean.
Dans ce roman, Maupassant abat clairement ses cartes : « Bourgeois, je te hais. Et je te déclare la guerre ». Bien-sûr, une guerre d’idées et de mots. Mais une guerre quand même. Guerre à l’hypocrisie et au mensonge. Guerre au paraître et aux convenances. Guerre à la gentillesse civilisée d’une société, qui, pour se rassurer, ne cesse de produire des mythes auxquels elle finit par croire. Ainsi Pierre et Jean, tel un nouveau couple fratricide et biblique dévoilent-ils peu à peu les failles d’une famille, les Roland, métonymie d’une époque, dont le seul dieu semble être l’argent.
L’édition présente reproduit le texte original, publié initialement en feuilleton dans La Nouvelle Revue à la fin de l’année 1887 et au début de l’année 1888.
A l’issue de la lecture de Pierre et Jean, se livre une certitude : derrière le prétendu réalisme de Maupassant se cache un faiseur d’allégories, un fabricant de symboles, détenteur des arcanes de la misère humaine. Méfiance donc.