«Lire les Dialogues de Platon avec en tête les questions soulevées
par Nietzsche m'a fait saisir en eux une force et une étrangeté
usées par des myriades d'interprétations. Vérifier combien
Nietzsche "platonise" m'a permis de percevoir une pensée qui, pardelà
Oui et Non, accumule hypothèses et points d'interrogation.
Ce livre tente d'expliciter une évidence jusque-là souterraine : la
parenté existant entre leurs manières de philosopher. Qui réduit
leurs philosophies à un ensemble de doctrines peut seulement
voir ce qui les oppose : pensée du devenir contre métaphysique
de l'être, interprétation contre recherche dialectique de la vérité,
corps pensant contre corps tombeau, la liste n'est pas close. Pour
mettre en question ces oppositions, il fallait rappeler que penser
est pour eux une aventure, une pluralité d'expériences joyeuses
ou pénibles ouvrant sur des chemins à explorer. La méthode du
contrepoint rigoureux, superposition de deux lignes mélodiques
qui n'exclut pas les dissonances, était donc la plus indiquée. La
mise en regard de leurs textes fait certes apparaître des renversements,
mais surtout des échos ou des chiasmes.
Le "Socrate musicien" qu'était Platon et le "Dionysos philosophos"
dont Nietzsche se disait le disciple sont les figures croisées
d'un philosophe que l'un invente et l'autre réinvente - d'un philosophe
qui, ni métaphysicien ni anti-métaphysicien, est capable
d'interroger impitoyablement comme de chanter au-dessus de la
vie. Cette autre manière de philosopher est, peut être, ce dont la
philosophie a aujourd'hui besoin.»
M. D.