Cette étude explorant l'interaction du son et du sens en poésie
moderne cherche à combler une lacune. Voici la question centrale :
dans quelle mesure le sens que le poète peut vouloir donner au monde
naît-il au sein même de l'élaboration musicale que la poésie opère sur
les mots ? La recherche prend appui sur un tressage des généalogies littéraires
françaises et allemandes, à partir de douze oeuvres majeures :
celles de Hoffmann, de Baudelaire, de Rimbaud et de Mallarmé (points
de départ d'une redéfinition du dialogue entre le poète et le musicien
au XIXe siècle) et celles de quelques-uns de leurs héritiers transgressifs
dans la poésie du XXe siècle, de langue allemande (Trakl, Rilke, Bachmann)
et française (Soupault, Jouve, Michaux, des Forêts, Bonnefoy).
L'interprétation risquée, sous le signe du Janus bi frons musical, est
qu'il n'y a pas d'exigence poétique sans à la fois une profonde ouverture
aux propositions de la musique et une force de résistance du
verbal au musical. L'enjeu est de placer cette ambiguïté oscillatoire,
propre aux rapports entre poésie et musique, sous le signe d'un air du
Don Giovanni de Mozart : «Vorrei e non vorrei». Le poète est vis-à-vis
de la musique en proie à la tentation conflictuelle d'une adhésion et
d'un retrait. Le poète «voudrait et ne voudrait pas» le duo avec le
musicien. Il y va d'une approche nouvelle de la poésie, d'une audiocritique
capable de se placer au point nodal où la poésie et la musique
échangent leur substance.