Portrait de Pier Paolo Pasolini en chiffonnier de l'histoire
Temps, récit et transmission chez W. Benjamin et P.P. Pasolini
Tome 2
Poursuivant la démarche initiée dans le premier volume (Temps, récit et transmission chez W. Benjamin et P.P. Pasolini. Walter Benjamin et l'histoire des vaincus, février 2011), le présent ouvrage s'attache à dégager les voies par lesquelles les deux pôles du dispositif Benjamin/Pasolini peuvent en venir à véritablement consoner. Consacrée à Pier Paolo Pasolini, la réflexion vise ici à établir que s'il n'est sans doute pas possible de parler d'une « philosophie de l'histoire » pasolinienne, en revanche, par bien des dimensions, l'oeuvre du poète/ cinéaste/théoricien italien se donne comme une histoire en acte. Des peuples de vaincus lèvent en effet dans les créations pasoliniennes, silhouettes tellement semblables à celles de leurs pères qu'elles dessinent l'image d'une continuité, mais entendue alors comme catastrophe - c'est le silence et l'invisibilité auxquels ils sont condamnés qui sont ininterrompus. L'usage récurrent de l'anachronisme chez Pasolini, cinématographique et littéraire, désigne une arme contre la destruction sans fin du passé : l'intrusion d'une survivance dans notre époque ouvre un espace pour le scandale, interrompant la continuité temporelle, à l'instar de « l'image dialectique » benjaminienne.
Ce sont les laissés-pour-compte de l'histoire officielle qui retiennent Pasolini, son amour allant vers ce passé, sous toutes ses formes, corporelles, linguistiques, architecturales, pour autant qu'elles ont été oubliées, broyées par la marche de l'histoire entendue comme progrès. En cela, Pasolini se révèle bien chiffonnier de l'histoire, tout occupé à recueillir le rebut, mais c'est aussi par le biais de cette critique du progrès qu'il se verra accoler l'étiquette de « réactionnaire » - c'est qu'il y a aussi une histoire des luttes d'émancipation et/ou de libération qui est toujours susceptible de sécréter un reste, autrement dit de rejouer, sur le mode mineur, une histoire des vainqueurs. Attentif aux formes des luttes et à leurs effets d'exclusion, Pasolini s'avère en cela aussi fort utile pour notre temps, indiquant la tendance propre aux mouvements d'émancipation consistant à identifier des formes et des pratiques sociales révolues (au moins sous certaines latitudes) à des attitudes en soi rétrogrades, voire obscurantistes.