Fondée au viie siècle et dotée d’atouts aussi nombreux que remarquables, l’abbaye bénédictine Saint-Pierre de Lobbes (Hainaut, Thuin) avait tout pour traverser les siècles avec bonheur. Elle attira bien vite l’attention des puissants, désireux de s’assurer les bonnes grâces de ses saints fondateurs. Elle devint ainsi l’une des institutions les plus prospères et florissantes de la région. Mais cet afflux de richesses allait avoir, dès le xiie siècle, des conséquences paradoxales et imprévisibles qui mirent rapidement à mal ses finances. Confrontée à l’émergence d’ordres religieux nouveaux correspondant mieux aux critères de religiosité du Moyen Âge central, l’abbaye vit en outre sa primauté régionale menacée. De profondes transformations de son environnement politique détournèrent enfin d’elle les princes et protecteurs potentiels. S’amplifiant les unes les autres, ces difficultés mirent l’existence-même de l’institution en péril. L’abbaye allait devoir sortir de ce cercle vicieux et s’engager dans un cercle plus vertueux. Elle allait devoir se réinventer si elle voulait perdurer à travers les siècles. Les abbés tâtonnèrent longtemps avant de trouver des solutions efficaces. Certains y parvinrent, d’autres moins. L’abbaye de Lobbes ne redevint jamais ce qu’elle fut par le passé, mais, à la fin du Moyen Âge, elle disposait malgré tout de ressources importantes et d’un prestige considérable, hérités en grande partie de son passé grandiose. Néanmoins, les moines ne se satisfirent pas de cette renaissance en demi-teinte. Ils demeuraient nostalgiques de leur prééminence politique et religieuse passée. C’est une des raisons pour lesquelles ils se rapprochèrent du mouvement de Bursfeld. Au tournant des xve et xvie siècles, l’abbaye Saint-Pierre de Lobbes semblait à nouveau sur la bonne voie pour durer éternellement. La Révolution française, quelques siècles plus tard, allait pourtant en décider autrement.