Pendant onze ans, Isabel a vécu en recluse, au rythme exténuant de la maladie, auprès de son père impotent. Devant la tombe pas encore refermée du vieillard, elle découvre, non sans angoisse, qu'il lui faut à trente ans s'inventer une nouvelle vie. Elle se jette avec avidité sur ce que toutes les femmes de sou âge ont déjà connu, parfois même déjà épuisé : les plaisirs de la coquetterie et de l'amour. Jusqu'au moment où refluent sur elle, dans le désarroi d'un sentiment de culpabilité, le passé et le chagrin car, de fille dévouée, de «petite sainte du Bon Dieu» admirée de tous, elle est devenue objet de réprobation : une femme à la sensualité sincère, maîtresse d'un homme marié. L'emploi qu'elle a trouvé dans l'aide sociale - une enquête sur les soins à domicile aux vieillards - la confronte chaque jour au problème, familier mais non résolu, de savoir s'il vaut la peine de sacrifier sa vie aux autres. «Mon père, je l'aimais», dit-elle. Mais les autres, ceux qui n'ont personne pour les aimer ?
Comment, se demande Isabel, vivre sans se sentir coupable, sans faire de mal, et même en faisant le bien ? Par un paradoxe qui n'est pas l'une des moindres surprises de ce roman, ce sera dans son éducation catholique qu'elle puisera l'argument décisif qui la fera s'accommoder d'un certain égoïsme et des déchirements de la vie. On est très loin ici de l'anarchisme étincelant et superficiel des romans féministes : l'amour filial, l'amitié, le bien, le mal, le bonheur sont les thèmes que l'auteur ne craint pas d'aborder. Et elle ouvre au passage de déconcertantes perspectives sur les rapports entre le masochisme et la vertu.