Les dessins d'enfant permettent-ils de retracer les fondements d'une oeuvre à venir ? Peut-on les considérer comme l'enfance de l'art ? Rien n'est moins certain, tant les choix individuels et les partis pris d'un artiste ne se dégagent que lentement des archétypes propres aux dessins d'enfant. Philippe Comar n'est guère porté à leur attribuer plus d'attention qu'ils n'en méritent, mais il tente de saisir ce qui, dans ses premières expériences graphiques, a nourri sa pratique actuelle de dessinateur. À travers ses souvenirs, qui pour certains remontent au plaisir d'apprendre à tracer des lettres sur un cahier d'écolier, il montre comment le dessin s'est imposé à lui comme un moyen de connaître le monde, d'y adhérer, de le vivre plus poétiquement.
Sans doute, comme beaucoup d'enfants, ai-je commencé par dessiner avec ma main dans le bac à sable, puis avec un doigt sur les meubles couverts de poussière ou sur les vitres embuées. Par la suite, j'ai dessiné dans la farine laissée sur la paillasse de la cuisine, ou dans la pâte à tarte fraîchement étalée sur le fond du moule, en la piquant avec une fourchette, cherchant à imiter le dessin des rosaces ou les motifs des napperons. J'ai aussi dessiné avec le manche de ma cuillère sur la mousse lactée flottant à la surface de mon bol de chocolat, ou avec un filet de miel sur les tartines. J'ai dessiné en piétinant la neige jusqu'à former des visages éphémères. J'ai dessiné en courant sur les plages d'Arromanches, à marée basse, griffant le sable avec un bout de bois, produisant d'immenses graphes, sans jamais pouvoir me hisser assez haut pour les contempler, laissant aux seules mouettes la jouissance de ces figures de grève.