Print the legend ; c'est un journaliste qui prononce cette phrase dans L'Homme qui tua Liberty Valance,
mais c'est l'un des plus grands cinéastes John Ford qui la lui fait dire. Print, copie, voilà l'espace commun
à la presse et au cinéma. Mais imprimer quoi ? Le cinéma comme le journalisme ont affaire à la
question de la vérité, mais pas de la même manière. The legend, la légende, participe de la construction de
la communauté humaine à travers des récits dont est porteur, justement, le cinéma, quand il est du devoir de
la presse de fournir des informations exactes et précises.
Le cinéma, qui veut raconter «toutes les histoires», comme dit Godard, aura aussi raconté celles de la
presse, ce qui a donné naissance à un genre à part entière, le «film de journalisme» qui prospéra à Hollywood
jusqu'aux années cinquante, entretint une véritable mythologie autour du sujet, et marqua le cinéma du
monde entier.
Aux confins du genre et de sa mise en crise, Citizen Kane d'Orson Welles a ouvert la voie aux nouveaux cinémas
des années soixante, quand émergent la crise de conscience et le désenchantement des cinéastes face
à l'image qu'ils portent à l'écran : c'est aussi sur lui-même que le cinéma mène désormais l'enquête.
Les films fondés sur des personnages de journaliste et des intrigues scénaristiques en forme d'enquête
posent la question esthétique du rapport du cinéma au réel. Le regard sur le monde du personnage de fiction
du journaliste et celui du cinéaste au travail se confondent. Le cinéaste mène l'enquête, tentant de capturer
une forme vivante de la réalité, à la recherche de la vérité, infiniment. A tout moment le réél résiste, lui disputant
la moindre parcelle de vérité. L'affirmation de son point de vue est sa seule garantie, le cinéaste doit
désormais accepter, voire revendiquer, qu'il regarde grâce à un «oeil impur». Simultanément, Le cinéma
documentaire devient un enjeu, et ses dispositifs multiples amènent le spectateur à repenser sa croyance en
l'image comme représentation transparente de la réalité.
Ces histoires et ces expériences aux formes inombrables portent aussi en elles une vision des rapports qu'entretient
le cinéma avec le vingtième siècle, simple reflet ou miroir déformant, témoin éclairé ou maître manipulateur,
mémoire vivante ou spectateur frivole...