La figure de Prométhée est associée au règne triomphant de la
technique. L'homme prométhéen, ayant reçu le feu divin, serait
responsable de tous les maux. Mais l'homme a fini par se déprendre
des dieux. Néanmoins sans la vertu politique, sans la reconnaissance
qu'il devrait à des valeurs supérieures ou à des pouvoirs légitimes, il
reste en dette. Cet homme n'est autre que l'individu des sociétés
démocratiques, habilement mis en scène par tous ceux qui instruisent
le procès de l'individualisme et de ses dérives, au nom d'une pensée
des majuscules (l'Homme, l'Etat, le Désir, le Langage...).
L'individu, ce Prométhée moderne, est à la fois l'objet de toutes
les attentions et de toutes les critiques. On le dit suffisamment libre
pour être un consommateur averti dans une économie de marché,
mais trop inconscient pour se rendre compte des dommages provoqués
par son égoïsme, son narcissisme exacerbé ou son désengagement
politique. L'exploitation économique de l'individu et les descriptions
menaçantes de son règne annoncé vont de pair. Subsistent
des pratiques efficaces qui, sous couvert de valeurs universelles, cultivent
la maîtrise des maîtres et dépossèdent chaque individu de sa
propre puissance d'affirmation. N'est-ce pas cette puissance que le
pouvoir a toujours cherché à circonscrire, à dominer, à enchaîner, en
la brandissant comme un épouvantail qui fait fuir chacun loin de lui-même
?