«Je ne suis pas décadent», affirme un jeune Marcel Proust dans
une lettre à Daniel Halévy. L'écrivain prendra certes vite ses distances
vis-à-vis de ce mouvement fin de siècle, mais sa pensée et
son écriture, le présent ouvrage tente de le montrer, resteront profondément
imprégnées de l'univers de la décadence. Contre-modèle
dans sa quête d'originalité, l'imaginaire décadent offre à
Proust des formes et des figures à pasticher, à emprunter pour être
mieux dépassées. En effet, loin d'avoir été une influence passagère,
comme le soutient une partie de la critique proustienne, le
décadentisme semble au contraire lui avoir fourni nombre de ses
thèmes : la critique de l'esthétisme et de l'idolâtrie, la sexualité
déviante et le théâtre de la cruauté, l'apocalypse menaçante et le
renouveau messianique, la fin des races et la lutte hégémonique
des classes. D'un point de vue formel, son dialogue critique avec la
décadence lui a permis de se libérer de l'écriture artiste et du style
décadent pour embrasser une esthétique plus contemporaine, inspirée
notamment par le futurisme et le cubisme. Fondé sur la
totalité des oeuvres de Proust des écrits de jeunesse à la
Recherche, Proust dans la décadence trace non seulement le parcours
intellectuel qui mène l'écrivain de la décadence vers la
modernité, mais réévalue le rôle déterminant du décadentisme
dans l'émergence du modernisme européen.