On a souvent confondu la pensée profonde de Proust sur la question du réel avec ses réflexions sur la relativité des sentiments, le caractère trompeur de la sensation ou la platitude des événements. Cette approche négative est pourtant contrebalancée, tout au long d'À la recherche du temps perdu, par une redéfinition radicale des notions de réalité et de sensible. Revalorisées d'un point de vue tant théorique que romanesque, elles se révèlent être l'origine et le terme de la vocation littéraire.
Proust ou le réel retrouvé s'attache à montrer comment l'écrivain substitue aux notions de matière, de fait brut, d'objet, celles de « sillon », de « réseau » ou de relation entre le moi et le monde. Dans cette nouvelle approche du réel, qui annonce celle qu'opérera, quelques décennies plus tard, un philosophe comme Merleau-Ponty, la profondeur joue un rôle majeur : elle caractérise l'ensemble de la réalité, du temps à la psyché, des spectacles sensibles à la vie sourde du corps. Au coeur de l'activité de l'artiste, comparé à un « plongeur », elle définit aussi un style fondé sur le procédé de la surimpression. Proust renouvelle ainsi la problématique de la référence littéraire en découvrant l'entrelacement du langage, du fantasme et de la sensation dans l'accès à « la réalité telle que nous l'avons sentie ».