Pendant des millénaires, les chefs politiques avaient la tâche simple, nous
explique, avec un brin de provocation, Jean-Michel Oughourlian : quand ils
voulaient mobiliser leur population, il leur suffisait de trouver un ennemi
contre qui unir le groupe. Aujourd'hui, la recherche de boucs émissaires
ne cesse de perdre de son efficacité. Les puissances rechignent de plus en plus
à faire la guerre à l'âge nucléaire ; par ailleurs l'individualisme croissant, au
sein des sociétés, rend de moins en moins probables des phénomènes durables
de polarisation sur une seule victime émissaire.
C'est la décomposition de la politique traditionnelle que nous décrit
l'auteur, en tirant ses exemples de l'actualité la plus récente : de la caricaturale
tentative de George W. Bush à rassembler une coalition internationale pour
se lancer dans la guerre contre l'Irak, à la débauche de communication dont
font preuve les modernes élus du peuple, sans réussir à camoufler leur absence
profonde d'objectifs.
En fait, à la recherche de l'ennemi, on pourrait substituer une véritable
recherche du contrat social ; mais tout se passe comme si nos sociétés
n'arrivaient pas à sortir d'un «entre-deux» où elles sont incapables d'inventer
une manière non violente de faire de la politique, sans croire non plus vraiment
à l'efficacité de la violence qu'elles continuent à mettre en oeuvre. C'est à
un diagnostic sans complaisance sur nos pratiques politiques que nous invite
Jean-Michel Oughourlian, dans le sillage des travaux de René Girard.