Voici que s'accomplit, avec ce dernier volume de la «Trilogie
transylvaine», la troisième parole prophétique du livre de Daniel :
Vous serez divisés...
Lorsque Bálint Abády pénètre dans cette loge où résonnent les accents
déchirants de Madame Butterfly, un frisson le saisit. Adrienne Milóth
est assise tout près de lui, dans la loge voisine, et au moindre
mouvement, ils peuvent s'effleurer. Il ne l'a pas revue depuis un an,
depuis que le destin les a séparés, mais l'épreuve est trop douloureuse...
il ne peut que prendre la fuite.
Dans cette évocation poignante de la fin de l'Empire austro-hongrois,
Miklós Bánffy, conteur né, restitue à merveille les fastes et les ravissements
d'une société qui s'étourdit au bord de l'abîme. Il entrecroise
les destins individuels, ceux d'Adrienne la femme mariée, et de Bálint
l'homme public, les descriptions éblouissantes de la Transylvanie, aux
soubresauts de l'Histoire, promenant sur les amours qui se
décomposent et les dynasties qui finissent en impasse le regard
désenchanté de l'aristocrate exilé dans son propre pays...
Comme celle de son compatriote Sándor Márai, l'oeuvre de Miklós
Bánffy, quasiment oubliée depuis plus d'un demi-siècle, comparée par
la critique à La marche de Radetzky de Joseph Roth et au Guépard de
Lampedusa, nous transporte avec nostalgie et lucidité au coeur d'un
monde aujourd'hui disparu.