Premier philosophe américain, Ralph Waldo Emerson (1803-1882) s’est aussi rêvé poète, chantre d’une Amérique qui, au XIXesiècle, tarde encore à s’inventer en littérature. L’écrivain de génie dont il annonce l’avènement a le pouvoir de percevoir dans la nature la divinité de l’homme. Représentatif de tous, lui seul peut fonder la communauté et permettre l’accomplissement de sa destinée démocratique. Mais s’il prétend déceler dans la nature les lois collectives, c’est surtout son propre reflet qu’il contemple, car le monde est d’abord le double de l’esprit. Nature et nation deviennent alors ses œuvres : parlant à leur place plutôt qu’en leur nom, il leur impose les caprices de sa volonté et menace de réduire la démocratie promise à l’empire d’un seul.
Rejouée de texte en texte, la tension entre individu et société donne à l’œuvre d’Emerson sa scansion singulière. De Nature aux Essais, à Representative Men et The Conduct of Life, Thomas Constantinesco suit le cheminement d’une pensée au gré des contradictions de l’écriture, toujours «en transition», et s’intéresse aux rapports complices et conflictuels qu’en Amérique la littérature entretient avec la politique.
Préface de Mathieu Duplay