Rendre la parole
Les Larrons de William Faulkner
Les Larrons a été publié en juillet 1962. Faulkner ne verra pas l'ouvrage imprimé. Il s'est éteint, le 6, à l'hôpital de Byhalia, des suites d'une chute de cheval. Mais il a eu le temps, par bonheur, de boucler son récit, de tracer ses derniers mots - « Son nom (à l'enfant que Miss Corrie, qui a épousé Boon, vient de mettre au monde), c'est Lucius Priest Hogganbeck ».
C'est trente-cinq ans plus tôt, en 1927, donc, que Le Bruit et la fureur a levé l'hypothèque dont la grande narration était grevée depuis sa lointaine origine, dans la Grèce du IXe siècle avant notre ère. Ce fut apparemment très simple et d'une portée, pourtant, que nous n'avons peut-être pas encore pleinement mesurée. Le jeune Faulkner a simplement abdiqué le privilège que s'étaient arrogé d'emblée, superbement, ingénument, les scribes, les doctes, les aèdes et les rhapsodes, les poètes, les lettrés, les romanciers - le narrateur -, et qui consiste à donner pour la réalité l'idée qu'on se fait, de loin, plus tard, d'événements auxquels on est étranger. Il a rendu la parole à ceux qui s'y trouvaient impliqués corps et âme, dans l'instant - aux acteurs. C'est une révolution dont les conséquences sont prodigieuses, non pas seulement dans la forme mais dans le fond.
La beauté d'un texte s'éprouve, c'est une aventure dont la jouissance tient à la magie du style. Cette collection se réfère à Léo Spitzer, l'auteur d'Études de style, dont la critique se réclame d'une lecture obstinée et confiante de l'oeuvre.
Un auteur (critique littéraire ou non) analyse une pièce d'étude, poème ou court chapitre, qu'il a goûtée avec passion. Il revient sur cette expérience et mène l'enquête, il interroge les mots, le rythme, la musicalité de la phrase, de la syntaxe ; il tente de déchiffrer l'énigme d'un style porté à incandescence.