Les Feuillets d'Hypnos (1943-1944) sont l'oeuvre d'un poète devenu chef
de maquis. S'ils ne présentent ni portrait héroïsant des combattants, ni
tableau sanglant d'une France agonisante, ils sont pourtant plus que le reflet
circonstancié d'un épisode historique. Le lecteur est saisi d'une réelle émotion,
et l'expérience résistante ainsi que les visages des maquisards transparaissent
dans une fragile nudité. Sans jamais l'expliquer, les Feuillets nous disent qu'il
ne s'agit pas d'être résistant mais de faire de la résistance. Il n'y a pas de
personnage à construire, posture vide qui serait une imposture, mais bien
plutôt des actions à mener et tout un faire qui engage à la fois l'homme
digne et le poète en l'homme. Si le faire prend la première place, c'est parce
que l'être a perdu ses prérogatives. La confrontation presque quotidienne au
spectacle de la mort a considérablement réduit le territoire d'expression de
la vie. Le nouveau mal progresse ainsi au coeur des hommes, les annihilant
de l'intérieur. Or, quand l'être se trouve relégué, seul le faire peut offrir des
moyens de retrouver une place dans le monde.
Cette subordination de l'être au faire ne va pas de soi. Elle joue contre le
mouvement naturel de la langue, et plus encore de la logique, qui veulent
l'inverse : il faut être pour avoir, avoir pour pouvoir, pouvoir pour faire. L'oeuvre
résistante nous apprend le contraire : il faut faire pour être, parce que le mal
s'efforce de supprimer l'humanité en l'homme.