La rencontre de Descartes et de la princesse Christine de Suède est souvent réduite à la mésaventure tragique du philosophe au pays de l'Étoile du nord. Un malentendu néglige ainsi le sens et la portée historiques de la brève mais intense correspondance préludant au printemps 1646 à l'invitation réunissant trois ans plus tard dans une intrigue étonnante ménagée par le Résident de France en Suède, la curiosité partagée de ce philosophe d'âge mûr et de cette jeune princesse à la recherche de la vérité.
Descartes souhaitait diffuser ses idées dans l'Europe naissante, voire bénéficier d'une protection ; la princesse Christine, orpheline de son père glorieux, Gustav II Adolf, voulait transformer son destin en destinée, connaître les grands esprits de l'époque et gagner la plus haute gloire. Le récent Résident de France, le parfait diplomate Pierre Chanut, ami de Descartes et bientôt confident de Christine, n'eut de cesse de rapporter au philosophe les qualités de la princesse, ses interrogations spirituelles, et d'expliquer à celle-ci l'apologie cartésienne de la volonté, provoquant bientôt son invitation à Descartes qui se rendit à la Cour de Stockholm à l'automne 1649. Or la mort du philosophe, en février suivant, ne clôt pas l'intrigue dont l'ultime phase, marquée par les décisions fracassantes de Christine, l'annonce de son abdication et celle de sa conversion à la foi catholique, s'achèvera à Rome en 1689 avec la disparition de cette Reine étonnante dont les pensées rédigées au long de sa vie attestent son évolution spirituelle. On s'interroge alors sur la portée de cette rencontre qui demeure un moment de l'histoire européenne.