Tàkis Sinòpoulos était médecin, ce qui l'a amené à vivre en première ligne la guerre de 40-45, puis la guerre civile atroce qui a suivi. Jamais il ne s'en est remis. Si sa poésie, d'abord influencée par Pound, Eliot et Sefèris, se renouvelle formellement de recueil en recueil, elle va rester marquée d'un bout à l'autre par la hantise de la souffrance et de la mort.
On trouvera ici les recueils de la maturité, et en particulier le sommet de l'ensemble : Repas funèbre (1972) et Pierres (1972), écrits parallèlement dans les années soixante.
Le titre de Repas funèbre pourrait servir à toute l'oeuvre de Sinòpoulos, qui n'est qu'un long dialogue avec les morts. Ce recueil, plus encore que les autres, est une descente aux enfers. Une redescente plutôt : le poète y rencontre sa jeunesse brisée, qui le hante près de vingt ans plus tard ; ce sont des images de bonheur, de désir amoureux, emportées par les visions d'horreur de la guerre ; au deuil s'ajoute la culpabilité d'avoir survécu. Débris de souvenirs, lambeaux de visions ou de rêves, listes de noms du martyrologe, salves d'images, tout cela mêlé, emporté dans une danse macabre sans fin.
Avec Pierres, on quitte le déchaînement épique pour la confidence à ml-voix ; la dérive hallucinée pour la concentration immobile. Mais à bien regarder, on retrouve dans ces pièces de musique de chambre, aux harmonies grises comme la cendre, moins trouées d'éclairs que de silences, le même sentiment tragique, la même beauté déchirée.