Au printemps 1970, lors d'un séjour à Kyoto, Richard Serra découvre le jardin
zen du Taizo-in, au coeur du vaste ensemble de temples de Myoshin-ji. Chaque
jour durant plusieurs semaines, le jeune sculpteur américain arpente inlassablement
les allées courbes de ce "jardin sec" datant du 16e siècle. Il fait
là l'expérience troublante d'un espace incarné, déterminé par le temps et le
mouvement.
«Aujourd'hui lorsque je repense à Kyoto, il me semble que l'une des choses les
plus importantes qui me soit arrivée là-bas est que je me suis trouvé ramené
à une situation élémentaire, me permettant de percevoir et d'observer ce qui
m'entourait de manière très brute. Je ne veux pas dire de manière enfantine,
mais brute, non filtrée.
Les jardins ont été la pierre de touche me permettant de prendre tout le temps
de regarder ce qui m'entourait, laissant les choses me parvenir simultanément,
dans le présent de la sensation. La conception que j'avais de mon travail s'en
est trouvée profondément transformée. [...] La déambulation et le regard sont
devenus pour moi des gestes fondateurs. Je n'aurais jamais pu engager une
telle mutation si je n'avais découvert ces jardins uniques.»
Peu après son retour du Japon l'artiste répond à une commande de la famille
Pulitzer pour sa résidence de Ladue, aux portes de Saint Louis, dans le Missouri.
Durant l'hiver 1970, démarre le chantier de construction de la Pulitzer Piece:
Stepped Elevation, première grande sculpture paysagère de l'artiste. Celle-ci
s'offre au marcheur comme une énigme, mais également comme une invitation
à décrypter le site qui l'acceuille au cours d'un incessant travail d'ajustement
perceptuel. C'est la «réponse à Kyoto» de Richard Serra.
La réflexion ici proposée se nourrit d'un long entretien inédit de l'artiste avec
l'auteur. Fabien Faure noue pour la première fois l'expérience japonaise du
sculpteur aux dimensions physique, topographique et phénoménologique de la
site-specificity, articulant les notions-clés de champ sculptural et d'oeuvre-lieu.