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Les Romains eux-mêmes écrivaient l’histoire consulat par consulat, mais cette approche ne conviendrait pas à une conquête qui fut polymorphe en raison des différences géographiques ainsi que des stratégies, de l’organisation politique et de l’état socio-économique des vaincus. Conquête mise à part, qu’y eut-il de commun entre les âpres guerres puniques, la longue soumission des Ibères, la rapide destruction des Grecs et la guerre des Gaules ? Certains furent menaçants, d’autres résistèrent longtemps dans leur pays sans jamais menacer l’imperium, d’autres encore étaient profondément divisés entre eux au point parfois de préférer l’envahisseur à leur voisin. Rome les a certes tous vaincus, mais jamais de la même manière, ne serait-ce qu’en raison de leurs différentes façons de combattre. Ce second tome adopte par conséquent une démarche thématique, vaincu par vaincu plutôt que consul par consul. L’approche polycentriste ne réduit pas les peuples à leur rôle d’adversaire temporaire de Rome, mais en dégage les caractérisques essentielles, les forces et les faiblesses, le génie propre à chacun d’eux. L’analyse de Carthage est à cet égard la plus éclairante, parce qu’elle ne se réduit pas à la reprise des commentaires, nécessairement biaisés par l’ignorance et l’hostilité, des nombreux écrivains grecs et latins. Elle remet en question de nombreux préjugés et s’appuie notamment sur les découvertes récentes des sémitisants pour expliquer les institutions carthaginoises et réfuter nombre de lieux communs tels que l’origine essentiellement commerciale de la richesse punique ou le manque de pugnacité des Puniques accoutumés à recourir au mercenariat par peur d’exposer leur propre sang. L’analyse de Carthage, la puissance la plus dangereuse pour Rome et par beaucoup d’aspects le plus original de ses adversaires, est érigée en méthode pour le reste de l’ouvrage, tant il s’agit sans doute du chapitre le plus précieux de tous. Les modalités d’exploitation varient en outre en fonction des pays conquis, et si la politique de la praeda reste la norme s’esquissent dès cette époque des tentatives d’organisation durable des espaces et des peuple conquis sur un autre mode que la fides, dont les Etoliens demandaient au Sénat en quoi elle était différente de l’esclavage. L’histoire de la conquête est aussi celle de l’apprentissage de l’exercice de la domination, qui ne saurait se réduire aux formes traditionnelles de relation avec l’hostis issues de la plus haute Antiquité.