Nous vivons des temps troubles : le travail a changé, l'organisation des hommes aussi, et ce à quoi on les emploie. Les frictions, c'est avec ce qui ne change pas, l'ordre, la hiérarchie, l'argent.
Voici le quatrième texte que nous proposons de Joachim Séné. Comme dans La Crise ou dans Roman, il y a démontage, et démontage violent. Ici, ces espaces neufs du travail informatique où tout le monde cohabite, où les tâches participent de notre plus haute modernité.
Alors le vocabulaire devient masque. C'est d'abord à la langue qu'on s'attaque. Les signes, les familiarités, l'anglais, la sanctification des mots fétiches comme l'entreprise. Et puis, de l'autre côté, les Assedic, les portes fermées, le monde des actifs susceptible de se fermer à jamais sur sa langue si fragile, tant elle cache peu.
Pour moi, pas d'hésitation : c'est notre façon, à nous littéraire, de faire de la politique. C'est mener la langue là où ça tremble, même dans les zones brillantes, mais les zones justement les plus névralgiques dans la reconduction ou la domination du monde.
Il faut participer de ce monde pour s'en saisir. Et, probablement, être du même coup dans l'impossibilité de s'y plier. Ceux qui suivent régulièrement les billets de Joachim Séné liront en creux son choix récent de quitter ces bulles de l'informatique à l'assaut du monde, pour se faire lui aussi piéton de la littérature. C'est ce choc qui ici s'écrit, dans le creux d'un licenciement.
Et découvrir comment, dans la rapidité des transformations de ce lieu névralgique du monde, et ce qu'il y advient du mot travail, nous avons nous-mêmes à réviser, affûter autrement nos armes. C'est la puissance immédiate de ce texte, que nous y conduire – et pas au détriment de notre humanité (qu'on lise l'apostrophe par quoi s'ouvre le texte), ni d'une étonnante capacité d'image concrète, là où peu de nous ont droit de pénétrer.
Outre son site, Joachim Séné participe depuis plusieurs mois à une des plus curieuses expériences web du moment, le Convoi des glossolales, textes à contrainte, où on retrouvera ce même défrichage du monde.
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