Santé publique et libertés individuelles. L'exemple des conduites par lesquelles on peut se nuire à soi-même
Selon l'expertise épidémiologique le tabagisme, la consommation excessive d'alcool, le manque d'exercice physique et une alimentation mal équilibrée expliqueraient 40 % des décès avant 65 ans dans les pays les plus riches. Cet argument chiffré fait comprendre que la prévention, qui vise la réforme des conduites individuelles, est appelée à prendre une place croissante dans les politiques de santé publique, car, pour réduire cette mortalité dite précoce, qui est aussi socialement déterminée, l'augmentation des dépenses médicales de santé n'aura sans doute qu'un impact marginal. Nous voulons montrer à travers ce travail que la prévention, tournée vers les conduites individuelles, est digne, non seulement d'un intérêt juridique et politique, mais aussi philosophique, car, à leur manière, les messages de prévention parlent du « bien », ou, d'« un bien », mais aussi de maux qui seraient évitables par des « conduites vertueuses ». Toutefois, une des particularités de ce discours, peut-être piloté par un désir de contrôle social des comportements, est de postuler, soit un individu introuvable, dont les désirs seraient sans opacité ni contradiction, et dont l'action se déduirait toujours de la connaissance, soit un individu que la peur de la maladie et de la mort rendrait enfin « raisonnable ». En quoi les conduites dites à risques pour leurs auteurs sont-elles motivées par la recherche du plaisir ? Relèvent-elles nécessairement de l'ignorance ou de l'aveuglement ? Prévenir les maux évitables par une réforme des conduites individuelles autorise-t-il à faire de la santé une fin en soi ? Nous tentons de répondre à ces questions en esquissant une éthique de la prévention conciliant santé publique et libertés individuelles.