Sauf-conduit n'a pas été conçu comme une autobiographie, mais comme un livre sur Rilke : c'est pour parler du poète qui lui a révélé la poésie que Pasternak a entrepris ce qui est devenu une «suite de fragments autobiographiques sur la manière dont s'est constituée sa conception de l'art et sur ses racines». Peu importe qu'il en soit venu à utiliser les faits de sa propre vie plutôt que de celle de Rilke : l'expérience dont il veut parler est leur expérience commune.
C'est pourquoi aussi Sauf-conduit pourra, en cours de route, changer de héros sans changer de sujet. Les deux premières parties sont écrites (et la première a déjà paru) lorsque, le 14 avril 1930, Maïakovski se suicide. La troisième et dernière partie lui sera tout entière consacrée. Hommage d'admiration à celui que Pasternak considère comme le premier poète de sa génération, c'est en même temps un portrait physique et psychologique d'un relief et d'une pénétration extraordinaires. Mais, si concret qu'il soit, ce n'est pas seulement un portrait individuel : dans un chapitre qui évoque «la dernière année du poète», la biographie de Maïakovski se confond avec celle de Pouchkine, mort en duel près d'un siècle plus tôt ; au chapitre suivant, le dernier amour du poète est raconté comme une fable impersonnelle et anonyme. Il n'est plus désormais qu'un personnage symbolique, le héros d'une légende éternelle.