Rien ne destinait Franz Michael Felder (1839-1869) à laisser une trace de sa brève existence. Paysan pauvre du Vorarlberg,
région en ce temps-là très déshéritée de l'Autriche occidentale, il eut à vaincre mille obstacles, à commencer par les préjugés
de son milieu, pour accéder à la littérature et à la poésie, objets de toute son ambition dès l'adolescence.
Auteur de deux romans, de nouvelles, de poèmes, d'essais et d'une vaste correspondance, il laisse surtout un chef-d'oeuvre : Scènes de ma vie, récit autobiographique achevé juste avant sa mort, publié seulement en 1904 mais constamment réédité depuis.
S'il faut lire ce livre, ce n'est pas simplement parce qu'il s'agit sans doute de la toute première fois où s'éleva, dans l'Empire autrichien (et même en Europe), une voix venue des profondeurs du monde rural : ne voir dans les Scènes de ma vie qu'un document sur la paysannerie, ce serait passer à côté de l'authentique écrivain qu'est Felder. Ce qui sidère le lecteur d'aujourd'hui, c'est l'évidence de son don littéraire. Dans une langue exceptionnellement riche et dense que rend fidèlement la traduction d'Olivier Le Lay, Felder parvient à rendre intensément présentes toutes les situations qu'il décrit. Dès les premières lignes du livre, il est là, en chair et en os, qui entreprend de raconter les « vies minuscules » de ses compatriotes et la sienne, sans apitoiement : simplement pour en dégager la vérité universelle.