Après le numéro spécial consacré en 2003 au génocide des Arméniens, nous
avons choisi de publier, pour commémorer le centenaire de la tragédie, des
documents (archives diplomatiques et militaires, correspondances, rapports
et témoignages) qui exposent le déroulement des événements caractérisant
le crime de génocide en privilégiant une perspective comparatiste.
Le génocide des Arméniens, perpétré sur le territoire de l'empire ottoman,
avait été ourdi depuis plusieurs décennies. Le Parti jeune-turc (Comité Union
et Progrès) passe à l'action à la faveur du déclenchement de la Grande
Guerre au côté des puissances centrales. Ces documents montrent que,
depuis longtemps, en Turquie, flottait dans l'air l'idée de «liquider la question
arménienne en liquidant les Arméniens» pour reprendre les mots d'un
responsable turc. Sans compter que pour les milieux nationalistes jeunes-turcs,
la charia était incompatible à la notion moderne d'égalité civique.
Parallèlement, le Comité Union et Progrès avait mis sur pied en 1911 une
organisation spéciale (O.S.) chargée des basses besognes. C'est elle qui, à
partir du mois d'avril 1915, entreprend l'extermination.
Le processus d'homogénéisation islamique et turc du pays portait en lui
(avec parfois la complicité tacite de l'ambassade d'Allemagne) une politique
de «purification ethnique» qu'on qualifiera plus tard de génocide. On ne peut
lire ces témoignages qu'à la condition de comprendre que le monde turcomusulman
n'obéissait pas au logiciel intellectuel occidental. Et que de ne pas
avoir entendu ce massacre annoncé a conduit à ce million et demi de morts
qui nous interroge sur la force du panturquisme et de la violence propre à un
islam conquérant.