« Il s'agit de pain pour moi, ma femme et mes enfants.
De pain ! De pain ! De pain !
Il le criait en parcourant la pièce. Il prononçait le mot comme s'il faisait sonner une pièce d'argent.
Il dressait l'oreille pour entendre ce son.
La faim marchait à grands pas et ouvrait toutes les bouches.
Derrière chaque affamé se profilait l'ombre du porteur, qui maudissait le frère américain.
- Qu'une tumeur maligne l'étouffe là-bas. »
Venu de New York, où il vit depuis vingt ans, Jacob Glatstein s'installe dans une pension de famille proche de sa ville natale, Lublin. Les rencontres qu'il y fait sont étonnantes. Lui, le poète yiddish, n'a de cesse alors de dresser le portrait des pensionnaires, de faire parler ses interlocuteurs et de les écouter. Il se régale à livrer ainsi une photographie de la Pologne, ce pays qu'il a quitté en 1914. La situation politique a tellement changé depuis son départ que les différents points de vue stimulent ses propres interrogations, quelques années avant l'Anéantissement.