«C'est vraiment dégueulasse», se dit Sherman. Parce que ça l'est, dégueulasse, vraiment. Peut-être à cause
de la préparation instantanée trouvée en même temps que l'appartement, des oeufs qu'il a laissés traîner dans
la voiture ou du demi-flacon de gel gingival qu'il a renversé, par mégarde, dans la pâte.
Sherman reste assis, les yeux fixés sur dix-sept beignets et demi et une barquette de glaçage industriel
- vide, à son grand regret. «Tiens, je pourrais racler le fond et le bouffer avec autre chose», rêve-t-il, tout
en balayant la cuisine du regard, à la recherche de la combinaison optimale. «Spaghettis au sucre glace ?
Pas d'humeur à cuisiner. Du sucre glace avec des chips ? Elles doivent être rassises.» Il est sur le point
d'envisager l'option céréales - recette au sucre éprouvée - quand une idée géniale se présente à lui.
Le trottoir devant la supérette en face de chez lui s'avère être l'endroit idéal pour qui veut écouler ses
gâteaux maison. Huit minutes suffisent à Sherman pour en vendre trois (1,50 dollar de profit !) à deux clients
différents - Don et une femme qui préfère garder l'anonymat. Sherman s'est exilé de l'autre côté de la rue,
poussé par la crainte qu'un client intoxiqué, faisant le rapprochement entre son immeuble et lui, ne s'en
revienne lui coller sa main dans la gueule ou un procès au cul.
C'est le moment choisi par le gérant de la supérette pour déloger Sherman. «Hello !», lance celui-ci avec
un petit geste de la main, comprenant parfaitement pourquoi le gars à moustache s'amène avec une tronche
aussi belliqueuse. Le plateau de beignets décolle du tabouret et le moustachu entreprend de les piétiner
pendant un temps qui semble à Sherman bien plus long que nécessaire.
Tout occupé à saupoudrer ce qui lui reste de glaçage sur une vieille chips, Sherman jette un oeil par la fenêtre
et aperçoit, en contrebas, l'un de ses clients revenir vers son bout de trottoir. C'est Don, lequel déboule d'un
buisson à une allure que l'on peut qualifier de précipitée. Il se jette à genoux, les mains tendues vers les
restes, récupère les miettes poisseuses dans sa cape, se lèche les doigts et détale aussitôt.