Charlotte Brontë (1816-1855)
"Les deux jeunes filles ne rencontrèrent âme qui vive dans leur retour à la rectorerie. Elles rentrèrent sans bruit ; elles se glissèrent à l’étage supérieur sans être entendues : le jour naissant les éclairait suffisamment de ses premiers rayons. Shirley se dirigea immédiatement vers sa couche ; et, quoique le lieu lui parût étrange, car elle n’avait jamais couché à la rectorerie, malgré la scène de terreur et d’excitation à laquelle elle venait d’assister, elle eut à peine posé sa tête sur l’oreiller, qu’un rafraîchissant sommeil vint fermer ses yeux et calmer ses sens.
Une santé parfaite était un des bienfaits dont jouissait Shirley ; elle avait le cœur chaud et sympathique, mais n’était point nerveuse. De puissantes émotions pouvaient l’exciter et la dominer sans l’abattre : secouée et agitée pendant la tempête, elle retrouvait après l’orage toute sa fraîcheur et son élasticité habituelles. De même que chaque jour lui apportait ses stimulantes émotions, chaque nuit lui procurait un repos réparateur. Caroline la regardait en ce moment dormir, et lisait la sérénité de son âme dans la beauté et le calme heureux de son visage.
Quant à elle, étant d’un tempérament tout opposé, elle ne pouvait dormir. La vulgaire excitation du thé et de l’assemblée des écoles eût suffi seule pour la tenir éveillée toute la nuit : le souvenir du drame terrible qui venait de se jouer sous "ses yeux n’était pas de nature à laisser longtemps son esprit en repos. Ce fut en vain qu’elle s’efforça de rester couchée : elle se releva bientôt et demeura assise à côté de Shirley, comptant les minutes et regardant le soleil de juin montant à l’horizon.
1812, Yorkshire. Victime de l'embargo mené par la France, l'industrie anglaise subit une grave crise. Robert Moore voit son usine tourner à vide. Il doit également faire face à la violente colère des ouvriers qui accusent les machines-outils de voler leur travail. Sa cousine Caroline est amoureuse de lui sans succès... Arrive une jeune héritière, Shirley...
Tome II