La publication en cours des manuscrits inédits de Sieyès permet désormais d'appréhender l'œuvre de ce penseur majeur de la Révolution française dans son cheminement spécifique. Il apparaît ainsi que Sieyès accorde une place prépondérante à la question du langage dans sa conception du travail de l'esprit politique. Avant la révolution, Sieyès élabore, en tant que «spectateur philosophe», une métaphysique inédite du moi et de son activité ; il en déduit un art social balisé en particulier par les néologismes de «sociologie» et de «socialisme». En 1789, «écrivain patriote», il concrétise sa «métaphysique politique» dans une «nouvelle langue politique». Législateur philosophe au sein des assemblées révolutionnaires, il propose la formation d'une «langue propre» à la hauteur de la Constitution propre au système représentatif. Pendant le Directoire, «philosophe analyste», il s'efforce de valoriser, face à ses interlocuteurs allemands, le «véritable système de métaphysique» des Français. Cet ouvrage propose ainsi une biographie intellectuelle de Sieyès au cours des trente années (1773-1883) les plus actives de sa vie. A ce titre, Sieyès est bien, comme l'a souligné le jeune Marx, l'inventeur de la (langue) politique moderne.